La Yellow Letter #3 : Vous avez dit "loi Rixain" ?
Bonjour,
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Cinq minutes par mois pour nourrir votre réflexion en matière de diversité et d'inclusion : data, concepts, interviews et autres ressources utiles. Dans votre boite mail le premier mardi de chaque mois (ou, comme ce mois-ci, le premier jeudi).
Au programme, ce mois-ci : un pipe-line de talents mixte et inclusif d’ici 2026 : c’est possible.
La loi Rixain, vous connaissez, bien sûr. Elle instaure des quotas au sein des instances de grandes entreprises, afin de garantir leur mixité. Les entreprises concernées ont déjà publié leurs chiffres, et n’ont plus que quelques mois avant de se conformer au niveau minimum de 30%, puis de 40% de représentation de personnes de chaque genre. Que contient cette loi ? Où en est-on aujourd’hui ? Quelle est la bonne check-list pour accélérer ? Ce sont ces questions que la Yellow Letter vous propose d’explorer ce mois-ci.
Les yellow data
La loi Rixain a été votée le 24 décembre 2021. Elle modifie le droit du travail français pour accélérer l’égalité économique et professionnelle, et crée une obligation de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les instances dirigeantes des grandes entreprises. Les grandes entreprises sont toutes celles qui comptent au moins 1000 salarié.e.s au cours de trois exercices. Toutes les entreprises sont concernées : publiques ou privées, filiales de groupes étrangers ou scale-ups tricolores, quelle que soit leur forme juridique.
La loi contient trois dates-clés : le 1er mars 2022, le 1er mars 2026 et le 1er mars 2029.
A partir du 1er mars 2022 : les entreprises doivent publier les écarts de représentation
A partir du 1er mars 2026 (résultats 2025), elles doivent compter au minimum 30% de femmes et d’hommes dans les instances dirigeantes (comités de direction, comités exécutifs). Dans le cas où cet objectif n’est pas atteint l’entreprise doit prendre les mesures adéquates et pertinentes de correction
A partir du 1er mars 2029 (résultats 2028), ces objectifs passent à 40%. S’ils ne sont pas atteints, l’entreprise dispose d’un délai de deux ans et doit publier ses résultats au bout d’un an. Si les objectifs ne sont pas atteints au bout de deux ans, l’employeur encourt une pénalité financière d’un montant maximum de 1% des rémunérations et gains.
En 2023, les sociétés du SBF 120 comptaient 26,2% de femmes, soit 2 points de plus qu’en 2022 et 10 points de plus qu’en 2027 (Source: IFA, Ethics & Board). La France est quasiment à égalité avec les Etats-Unis (26,6%) et fait mieux que plusieurs pays européens tels l’Allemagne (18,9%), l’Espagne (18,7%) ou l’Italie (13,3%). Elle est toutefois devancée par les pays scandinaves.
Côté CAC 40, selon la même source, 15 entreprises ont dépassé les 30% de femmes dans les comités exécutifs et de direction, tandis que 11 comptent moins de 20% de femmes. Aucune femme n’occupe un poste de PDG dans le CAC 40 en mars 2023. L’indice phare de la Bourse compte une femme présidente d’un conseil d’administration (Angeles Garcia Poveda, chez Legrand) et trois femmes directrices générales : Estelle Brachlianoff (Veolia), Christel Heydemann (Orange), Catherine MacGregor (Engie).
Toutefois, la sous-représentation ethno-culturelle dans les entreprises françaises est encore plus flagrante que celle des femmes. Selon une étude de 2022 de Mozaik RH #Meandyoutoo, seulement 3,5% des membres des Comex du SBF 120 appartiennent à des minorités visibles identifiées comme “non blanches” ou ont un patronyme à consonance “extra-européenne”
Le yellow concept : Systémique
Systémique. L’adjectif renvoie à la notion de système dans son ensemble, par opposition à ses composantes.. Appliqué à la discrimination, ce terme désigne l’ensemble des mécanismes (procédures, habitudes, formes d’organisation) qui contribuent à des inégalités ou à des résultats moins favorables pour certains individus. On peut parler de discrimination systémique à l’égard des femmes : des stéréotypes les éloignent de certaines études, un conditionnement social les amène à consacrer plus de temps aux travaux domestiques, des préjugés les tiennent à l’écart de certains secteurs, les congés et le temps partiel liés à l’éducation des enfants les concernent davantage, etc. Aucun de ces éléments pris isolément n’explique à lui seul les discriminations dont elles sont l’objet. C’est le système dans son ensemble qui est en cause, à travers des fonctionnements souvent non intentionnels. La discrimination systémique appelle des réponses multiples, de la part des Etats (règlementation, quotas), des entreprises (politique de D&I, formation des équipes dirigeantes et de recrutement) et des individus.
3 yellow questions à Daniele Raugi, Global Head People, Sanofi Vaccines & Europe
Vous avez réussi à créer dans votre groupe un vivier de talents dans lequel les femmes sont de mieux en mieux représentées. Par où avez commencé ?
On ne peut pas faire l’économie d’un bilan exhaustif et sincère de la situation d’où l’on part. Combien on a de femmes exactement, à quels postes etc. Sans data, on n’avance pas. Même si, parfois, on fait des constats difficiles : par exemple, nous nous sommes rendu compte que nous perdions trois fois plus de talents féminins que masculins avant l’accès aux postes de direction.
Comment avez-vous réagi ?
On a voulu comprendre. On a conduit des entretiens, des focus groups avec des femmes - et avec des hommes aussi. Nous nous sommes alors aperçus que les femmes ne se sentaient pas bienvenues, à cause de certaines remarques ou attitudes qui n’étaient absolument pas intentionnelles, mais qui les rebutaient : elles craignaient de devoir en faire plus que les hommes pour réussir. Donc nous avons cherché à construire un environnement vraiment inclusif, en mettant en place tous les outils possibles : un programme de mentoring, des formations au management inclusif, des role-models. Pour les nominations, on a posé une règle : le processus de recrutement ne commence que lorsqu’il a autant de femmes que d’hommes sur la short list. Tout cela prend du temps, mais ça marche : au bout de deux ans, nous commençons à voir les résultats dans les chiffres : la parité augmente.
Est-ce qu’il vous reste encore des défis à relever ?
Bien sûr. D’abord, les talents féminins sont très sollicités. Il y a aussi le sujet délicat des hommes qui se sentent parfois désavantagés, et avec qui il faut travailler, car nous avons besoin des meilleurs talents, qu’ils appartiennent à des hommes ou à des femmes. C’est donc une transformation difficile, mais elle est indispensable. Personne ne peut réussir en n’étant pas soi-même à 100%.
La yellow check-list pour commencer la mise en conformité avec la loi Rixain
Par où commencer pour s’assurer d’atteindre au plus vite les objectifs fixés par la loi ? Parfois, on assimile à tort recrutement de dirigeantes et cooptation d’administratrices. Pour recruter des dirigeantes, il s’agit de construire un véritable pipeline des meilleurs talents, hommes et femmes, qu’il faut fidéliser et entretenir. Comme point de départ, on peut vérifier les points suivants :
1 - Mon vivier de talents est-il biaisé ou non ? Est-ce que les critères d'évaluation mis en place dans mon entreprise sont objectifs ? Par exemple, les termes qui décrivent les qualités ou les résultats à atteindre ne sont-ils pas, consciemment ou non, plus applicables à des hommes ou à des femmes ? Par exemple, est-ce que les grilles d’évaluation sont rédigées en utilisant des formulations inclusives ?
2- Dans mon entreprise, le parcours pour accéder aux postes de direction est-il compatible avec le développement d’une carrière d’une femme ? Si les postes de direction sont implicitement réservés aux cadres qui dirigent des équipes ou s’expatrient dans plusieurs pays différents en quelques années, les femmes auront moins facilement accès à ces parcours du fait des maternités et de leur implication dans la sphère privée. Il est important d’adapter la vision du parcours-type du dirigeant ou de la dirigeante.
3 - Est-ce que je dispose de données et de KPI pertinents, que je peux piloter ? Beaucoup d’entreprises ne savent pas exactement combien elles comptent de femmes, ni quels postes elles occupent. Un système d’information RH qui capte ces données est un préalable essentiel. Il implique de se poser certaines questions : comment comptabiliser les personnes non-binaires, par exemple. Il est aussi très important de comprendre pourquoi les personnes (hommes et femmes) quittent l’entreprise. Cela peut être fait en systématisant les exit interviews et en analysant précisément leurs résultats.
4 - Mon recrutement et ma communication marque employeur sont-ils suffisamment ouverts ? Il faut s’assurer que les offres d’emploi, en interne comme en externe, soient exemptes de biais et rédigées de manière inclusive, dans toutes les langues. Il est aussi essentiel de ne pas limiter les recrutements à certaines écoles (écoles d’ingénieurs) ou types d’institutions (grandes écoles en France, Ivy League aux Etats-Unis, etc.)
5 - Est-ce que moi, dirigeant.e, je suis véritablement engagé.e ? La construction d’un vivier de talents mixtes n’est pas l’affaire de la DRH : c’est un processus intégré et collectif. Il est essentiel que toute l’équipe de leadership ait à cœur de faire avancer l’ensemble de l’entreprise sur la voie de la diversité, à travers le recrutement, les promotions, mais aussi le développement des produits et l’ensemble des décisions stratégiques. Être soi-même convaincu.e et penser diversité dans toutes dimensions est le premier pas indispensable vers une entreprise inclusive, capable d’attirer et de retenir tous les talents
Les yellow sources (aka ressources inspirantes)
À lire:
The Authority Gap, de Mary Ann Sieghart, une brillante analyse des multiples biais qui barrent la route des lieux de pouvoir aux femmes
Culottées, de Pénélope Bagieu : une BD en forme de collections de portraits de femmes inspirantes qui ont fait bouger les lignes
À écouter/ à regarder:
L’épisode du podcast de Pauline Laigneau consacré à Patricia Barbizet, personnalité discrète et incontournable du monde des affaires
À voir:
Numéro une, de Tonie Marshall : sortie en 2017, une fiction pleine d’humour sur le parcours semé d’embûches de la première PDG du CAC40 française. Disponible sur Canal VOD, Universciné, Orange…
Vous êtes DRH, dirigeant d’entreprise, et vous voulez échanger sur un sujet de Diversité et Inclusion ? Vous voulez témoigner dans la Yellow Letter ? Contactez Stéphanie, Emmanuelle ou Claudia.
Save the date : Le Labo des Idées
Le 14 Avril 2023, le prochain Labo des Idées se réunira autour d’Anne-Sophie Nomblot, Présidente de SNCF Mixité, le plus grand réseau mixité de France.
Le nombre de places étant très limité, faites-nous signe si vous voulez être sur la liste de nos invités, dans la limite des places disponibles.
La Yellow Letter est une création de The Inspiration Lab :
Stéphanie Daudier, Emmanuelle Cohen, Claudia Adler, Andréa Roger,
Avec la complicité de Valérie Boas.
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